Archives du 15 juin 2018
Christian Scott, transmetteur de mémoires.
Souvenez-vous, j’avais déjà évoqué Christian Scott, le talentueux trompettiste américain après l’avoir vu en concert en mars dernier à Paris. Cette fois, l’homme étant assez prolixe, à la manière d’un Miles Davis par exemple, nous propose 2 cadeaux musicaux !!! le premier, « The emancipation procrastination » qu’il signe de son nom complet Christian Scott Atunde Adjuah (en hommage à ses ancêtres africains).
Le second, un album triple intitulé « The Centennial Trilogy », qui outre l’album précité, regroupe deux autres disques sortis en 2017, à savoir « Diaspora » et « RulerRebel ». De quoi se faire une belle idée du talent de ce musicien de 35 ans, grandi à la Nouvelle-Orléans, baigné des cultures africaines, de la soul, du blues, du hip-hop. Un mélange culturel et sonore dans lequel Christian Scott pioche avec un bonheur non dissimulé au gré de ses envies, de ses humeurs
« Centennial Trilogy » est un projet important pour Christian Scott. Une forme de revanche sur les clichés portés par les blancs à l’époque de l’esclavage au Etats-Unis : « fêter les 100 ans du premier enregistrement d’un album de jazz, que l’on doit à l’original dixieland jass band. Datant de 1917, le disque avait été fait par des blancs… pour se moquer du jazz noir ! Une sorte de satire de mauvais gout, inimaginable aujourd’hui. Cette trilogie serait donc une revanche, un rêve de gosse : « je voulais remettre dans la tête des gens que le jazz est une multitude de sons et d’influences et pas juste une blague ». Avec trois albums aux concepts musicaux différents, il remplit parfaitement cette mission : « Ruler Rebel » pour « qui tu écoutes », « Diaspora« pour « qui parle à qui » et « The emancipation procrastination« pour « ce que l’on raconte ».
Si le premier volet, « Ruler Rebel » fait la part belle aux racines africaines de la musique noire américaine moderne, le second, « Diaspora » se veut plus éclectique mettant en lumière les différentes diasporas qui ont composés le socle de la nation américaine et qui continuent aujourd’hui encore d’y contribuer. A travers ce disque, il marque son envie, sa nécessité viscérale d’étendre le jazz aux autres musiques, de ne pas l’enfermer dans une chapelle, de lui garder une fraicheur, une modernité accessible, mission qu’il confie à ses jeunes acolytes, qu’il considère comme ses héritiers, de la transmettre. Le 3ème volet, « The Emancipation Procrastination« , contient une musique revendicative, pleine de sens politique, pour lui qui ne souhaite plus que les afro-américains restent passifs face à l’ordre des choses dans la société américaine. Il les invite à se lever, à se prendre en mains, ne pas rester résignés.
Dans les deux cas, donc, Christian Scott, entouré de ses comparses habituels, à savoir Elana Pinderhugues (flûte), Braxton Cook(saxophone alto), Stephen J.Galdney(saxophone ténor), Lauwrence Fields (piano, fender rhodes), Corey Fonville (batterie), Luques Curtis (basse), s’évertue à nous emmener dans son sillage sur les traces de la musique jazz, sur la terre de ses ancêtres, là où tout a vraiment démarré pour le Jazz, nous faire découvrir sa vision très large de la musique jazz, marquée par le talent de ce musicien aussi singulier que talentueux. Un homme-citoyen engagé, un musicien à forte personnalité, une démarche revendicative, qui plairaient à des figures telles Miles Davis, Sonny Rollins, Malcolm X, ou Martin Luther King.
En oubliant pas d’où il vient, ni les racines de sa musique, Christian Scott se fait ici gardien et transmetteur d’un mémoire historique, qu’il est,par les temps qui courent, utile de rappeler. Dans l’espoir qu’un jour l’Homme apprenne de ses erreurs et errements du passé pour mieux construire son avenir. En paix.
Deux disques à écouter de toute urgence pour comprendre qui est Christian Scott.
Guillaume.