Archives du 29 janvier 2021
Il était une fois … 1988 !

Cette année-là, en France est marquée par les candidatures successives en janvier et février, de Jacques Chirac, Raymond Barre à l’élection présidentielle, qui verra finalement la réélection en mai de François Mitterrand avec 54% des voix face à Jacques Chirac. C’est aussi une année où le Louvre fait peau neuve avec la pose de la désormais fameuse pyramide, signée de l’architecte japonais Peï. En mars, une première loi sur le financement des activités politiques verra le jour. Ce même mois, la représentante de l’ANC en France, Dulcie September est assassinée à Paris. En avril, les évènements se déplacent en Nouvelle-Calédonie où une prise d’otages à lieu à Ouvéa. Cela débouchera sur une vraie crise, l’intervention de l’armée et la morts de plusieurs indépendantistes et militaires. En mai, 3 journalises français otages au Liban de très longue durée sont libérés entre les deux tours de la présidentielle. Chirac revendiquera ce fait Plus tard dans l’année, en octobre, la culture est frappée de plein fouet avec l’attaque du cinéma Saint-Michel par des catholiques intégristes, lors de la projection du film « La dernière Tentation du Christ » de Martin Scorsese avec l’immense acteur Willem Dafoe (image ci-dessous), mais aussi Harvey Keitel et Barbara Hershey. L’affaire fera grand bruit. En décembre, le gouvernement créé le RMI (revenu minimum d’insertion), et le parlement adopte la loi sur la création d’un CSA (Conseil supérieur de l’Audiovisuel). A la rubrique nécrologique, la Grande Faucheuse a fait « bonne récolte », jugez plutôt : le syndicaliste brésilien Chico Mendès (assassiné sur ordre), l’acteur américain John Carradine, l’anglais Trevor Howard et l’allemand Gert Fröbe, la psychanaliste française Françoise Dolto (mère du chanteur Carlos), le constructeur automobile italien Enzo Ferrari, le chanteur anglais Andy Gibb (Bee Gees), la chanteuse allemande Nico, le chanteur québécois Félix Leclerc, l’artiste français Jean-Michel Basquiat, l’humoriste Pierre Desproges, les acteurs français Jean Le Poulain, Marcel Bozzuffi, Michel Auclair, Paul Mercey, et la comédienne Pauline Lafont, fille de Bernadette Lafont. Bref, une belle charrette !!!

Place à l’histoire inventée.
Ce soir-là, la nuit est pluvieuse sur Paris. Les gouttes d’eau passent devant les lampadaires de la rue de Rivoli comme des moucherons. En grappe, mais furtivement, immédiatement chassées par les suivantes.
Deux hommes, la soixantaine, vies bien remplies, se tiennent appuyés sous les arcades, attendant que la pluie cesse son office nocturne. Le premier s’appelle Enzo, en hommage à Ferrari. Son père, fan du cheval cabré, s’était juré que s’il avait un fils, il le prénommerait ainsi. Le second s’appelle Gert. Là aussi une histoire de transmission. Il tenait ce prénom en hommage au comédien allemand Gert Fröbe. Deux « hérédités » lourdes à porter, pour des raisons diamétralement opposées.
Les deux hommes ne se ressemblent pas, tant physiquement que dans l’allure vestimentaire. Enzo est un grand gaillard d’un mètre quatre- vingt-dix, de famille bourgeoise, à l’ossature épaisse d’un troisième ligne de rugby, au visage marqué de cicatrices et aux mains larges et fortes. Côté vêtement, il cultive le soigné italien, de la chaussure à la cravate. Gert est homme de taille moyenne, un mètre soixante-quinze, de corpulence moyenne. Seul atout, des yeux bleus à faire se pâmer ces dames. Côté sape, le gars la joue carrément francophile, honneur aux couturiers, gantiers, chapeliers dont il connaît les adresses parisiennes par coeur pour bien se fournir. Idem pour la chaussure. Sans se connaître, nos deux gaillards ont un point commun : le goût du beau, de la belle sape, de la belle chausse.
Alors que la pluie fait des claquettes sur la chaussée et les trottoirs, nos deux hommes, à l’abris, entament une discussion, à bâtons rompus. Très vite ils se racontent leur vies, échangent sur la société. Enzo raconte sa rencontre avec sa femme Johanna, avocate trentenaire, qui lui a redonné l’espoir, la foi en la vie, en l’amour. De cette union avec celle qu’il surnomme affectueusement « ma sauveuse », il a eu deux enfants, Marylin et John, 11 et 7 ans. Deux enfants tombés du ciel pour Enzo, qui ont renforcé son amour pour sa femme, pour la vie et lui ont redonné confiance. Mais Johanna, très protectrice, ne cesse de lui répéter « Don’t worry, be happy », dès qu’elle perçoit un moment de doute chez son mari. Johanna dit souvent que « mon mec à moi, il est tout pour moi », une véritable déclaration d’amour envers Enzo qui est très heureux aujourd’hui, ses enfants grandissent bien, son couple fonctionne, et côté boulot, après de longues années passées dans l’édition, il s’apprête à passer la main en douceur. Sans regrets.
Gert, à l’écoute de ce récit plein d’enthousiasme d’Enzo, se montre admiratif sinon un brin jaloux. Car pour lui, rien ne va. Publiciste, marié depuis vingt-cinq ans à Tracy, une anglaise bon teint, à l’accent londonien et au caractère bien trempé, il est père d’une fille de vingt ans, Annabelle, partie faire ses études en Australie (autant dire qu’il ne la voit quasiment plus, sinon par skype…ou quand elle revient sur Paris voir.. ses ami.e.s). Mais son couple bat de l’aile depuis longtemps déjà, la communication ne passe plus trop, les silences sont de plus présents, lourds. Gert et Tracy font chambre à part depuis longtemps. « Desire » est un mot absent du vocabulaire du couple. Trop selon Gert, qui ne supporte pas ça et déclare autant qu’il le peut à Tracy « I don’t wanna go without you »…. comme une supplique à une non séparation qu’il sent poindre dans l’esprit de sa femme. Car de son côté, Tracy envisage de plus en plus son mari comme « just a friend of mind », sans lui avouer bien entendu, ce qui serait très dur à entendre pour Gert. Puis un jour, fatalement, Tracy en vient à annoncer la nouvelle à Gert. Sa décision, ultime, définitive, irrévocable. « Je pars Gert ». « Pour où ? répond-il interloqué… »..Devant tant d’incrédulité feinte ou réelle de celui qu’elle n’aime déjà plus depuis longtemps, elle garde un silence froid, regarde une dernière fois sa maison, ouvre la porte, prend sa valise et s’en va. Sans un mot. Gert est choqué. Estomaqué. Mais c’est la fin brutale d’une histoire de vingt-cinq avec Tracy.
Face à ce récit pour le moins sombre de son compagnon d’infortune nocturne, Enzo se dit qu’il ne peut pas le laisser repartir, une fois la pluie cessée, sans lui donner quelque avis ou conseil. Aussi, sans le prendre de haut, ni sombrer dans le patos, Enzo conseille à Gert de se montrer plus prévenant, de surprendre sa femme, de lui proposer des sorties inattendues ou des week-end romantiques, histoire de ressouder le couple, et surtout d’échanger, de dialoguer, pour essayer de comprendre ce qui ne va pas, ce qui ne va plus.
Voilà maintenant deux heures que les deux homme échangent, se confient l’un à l’autre. Une relation amicale est-elle née ce soir de pluie parisienne ? En tous cas, au moment où la pluie enfin cesse, les voilà plus complices que jamais, maintenant riant aux éclats de blagues échangées et de la circonstance qui les a réunis sur un bout de trottoir, un soir humide à Paris, rue de Rivoli. Malgré l’heure avancée de la nuit, Enzo et Gert décident de poursuivre la discussion, mais au chaud cette fois. Enzo n’habitant pas très loin, près de la Madeleine, propose à Gert de finir la soirée chez lui, devant un bon scotch, à refaire le monde. Gert accepte. Un roman d’amitié est né.
Guillaume.