Archives du blog
Quand le Jazz se chante et joue au féminin.

On le sait, vous le savez sans doute depuis longtemps, le label français Frémeaux & Associés, basé à Vincennes en région parisienne, n’a de cesse de rendre hommage au patrimoine du jazz, a mettre en exergue son histoire, ses héros ou héroïnes oublié.e.s en ressortant des pépites, toujours avec des enregistrements de qualité, et des livrets qui ne le sont pas moins. C’est encore le cas cette fois-ci avec le coffret intitulé « Jazz Ladies : The singing pianists (1926-1961) ». Dans ce nouveau superbe coffret qui contient 3 disques s’étalant chacun sur une période (CD1 : 1926-1961; CD2 : 1930-1961 ; CD3 : 1944-1961), uniquement dédié aux femmes chanteuses et pianistes de jazz, il est possible de retrouver des noms connus tels que Nina Simone, Shirley Horn, Blossom Dearie, Aretha Franklin, et d’autres qui ont disparu des radars comme Cleo Brown, Lil Armstrong, Una Mae Carlisle, Camille Howard, ou encore Rose Murphy. Ce n’est que justice de rendre hommage à celles qui ont également écrit parmi les plus belles pages de l’histoire du Jazz. Dans un précédent coffret, Frémeaux avait rendu hommage aux femmes instrumentistes dans le jazz tout en évoquant les nombreux obstacles auxquels elles se trouvaient confrontées. Il y était notamment indiqué que si, historiquement, dès la fin du XIXème siècle, lorsque le piano, ou plutôt de petits orgues, ont fait leur apparition dans certaines familles d’anciens esclaves, les chanteuses étaient admises du fait de leur présence dans les chorales de gospel, les rares chanteuses solo acceptées dans le monde du jazz étant les pianistes. Pour les autres instrumentistes, la tâche s’avérera plus ardue. Mais revenons à notre coffret du jour.
Dans le premier cd, qui couvre les années 1926 à 1961, il est donné à re- découvrir des artistes telles que Cleo Brown, virtuose du piano, qui propose un jazz swinguant, comme sur « The stuff is here and it’s mellow » ou sur « When Hollywood goes black and tan », qui évoque un Hollywood fréquenté par beaucoup d’artistes noirs, comme Louis Armstrong. Avec LR Armstrong, on arrive sur un jazz plus enlevé, avec des cuivres bien présents. Prémices d’un futur bebop. Écoutez donc « Harlem on saturday night ». Puis vient la voix plaintive de Una Mae Carlisle, sur « Love walked in ». On peut remarquer son phrasé précis, son timbre de voix équilibré, le tout sur des orchestrations qui là encore swinguent. Julia Lee est une pianiste davantage portée sur le boogie-blues. Écoutez « Dream Lucky blues » et son jeu précis, moderne. Cela se précise avec « Comme watcha you got », qui pourrait presque être un rock. Enfin elle est l’auteur d’une belle version de « Nobody knows when you’re down and out ». Paula Watson, elle, assume un style blues évident (« Pretty papa blues »). Plus loin sur le disque, on trouve aussi Ira Mae Littlejohn, qui veux voir Jésus en mode blues, Clara Ward qui pousse la voix comme à l’église le dimanche pour chanter le gospel, enfin Aretha Franklin, qui nous indique que le sang devient chaud dans les veines (« While the blood runs warm », et qu’elle résiste à la tentation (« Yeld not to temptation »). Ce premier chapitre ouvre des horizons intéressants, Aussi le second cd, qui va de 1930 à 1961, s’annonce bien.
Ca démarre avec Martha Davis, voix douce, suave, qui enchaîne « The be bop bounce », « I’m fer it » et « Cincinatti » avec un égal bonheur. Puis vient son « Kitchen blues », lent à souhait. Nellie Lutcher nous offre « Do you or don’t you love me? », sur un tempo très rapide, tenu aux balais à la batterie. Style enjoué, un brin clownesque, elle tient la rampe. J’arrive à Rose Murphy qui nous chante « I can’t give you anything but love » de sa voix fluette, quasi minaudante. Elle se risque également sur « Honeysuckle Rose » et « I wanna be loved by you » (reprise notamment par Marilyn Monroe). La voix gorgée de blues de Frantic Fay Thomas nous susurre « I lost my sign in Salt Lake City ». La Vergne Smith chante « un blues dans la nuit », avec une ton quasi descriptif, comme sur « One of the road ». « Double trouble blues », interprété par Kansas City Kitty est un blues piano-voix efficace, entraînant. Pour clore le disque, c’est la voix de Victoria Spivey qui surgit et nous chante « That man ». Un blues au piano.
Maintenant, voyons le dernier chapitre, période 1944-1961. Tout commence avec Blossom Dearie, dont le phrasé rappelle celui de Diana Krall, la voix en moins grave, qui après un « Thou swell » attrayant, nous gratifie d’une jolie version de « plus je t’embrasse », en français dans le texte, au ton très enjoleur. Elle joue tout en douceur, et sur ce rythme là, entonne « Someone to watch over me ». Vient derrière « Let’s fall in love » (repris par Diana Krall) qui nous est donné par Jeri Southern. Un swing au balais très agréable à écouter. Audrey Morris, voix légèrement grave, s’aventure sur « Good morning heartache ». « Day in day out », signé de la très grande Shirley Horn, fleure bon le swing d’un bebop, est exécuté à mon goût de manière un peu désordonnée. Arrive le célèbre « Makin whoopee », qui me réconcilie avec cette immense pianiste et chanteuse. A la suite, c’est la talentueuse Nina Simone qui se joue du « classique » de jazz « Mood indigo »dans une très belle interprétation. Son jeu de piano autant que sa voix sont un régal à entendre. S’en viennent ensuite « Love me or leave me », puis le très beau « Black is the color of my true love’s hair », un manifeste pour l’homme qu’elle aime. On peut aussi l’écouter jouer un Boogie-woogie, intitulé « Boogie-woogie roots ». De Boogie-woogie il est encore question avec Christine Chatman (« Bootin’the boogie »), Lilette Thomas, qui joue « Boogie-woogie time down south « , Madonna Martin avec « Madonna’s boogie », enfin Kate Webster qui déroule un « Baby comme on » et « Kate Lee », que n’aurait pas renié Jerry Lee Lewis.
En résumé, ce coffret regorge de trésors à decouvrir, tant au niveau des morceaux que des artistes. Ne passez pas à côté.
Guillaume.
Rémy Gauche, de l’obscurité à la lumière.

Rémy Gauche, musicien de jazz français, guitariste de qualification, est un émule des illustres John Scofield et Pat Metheny. Deux maîtres de l’instrument, qui ont longtemps silloné les rives du jazz-rock, depuis plus de 30 ans. Son registre est lui, davantage tourné vers le be bop.
C’est en tous cas ce qui ressort de « Obscurity of Light », album enregistré en 2017 avec un quartet constitué de Thomas Koenig au saxophone ténor, Philippe Monge aux claviers, à la basse et à la contrebasse, et de Julien Augier à la batterie. Tous travaillent ensemble depuis plus de 6 ans et cela s’entend, se sent, dès les premières notes, tant la cohésion, l’union est là pour servir une musique, qui sans tomber dans les clichés du genre, est de belle qualité.
La collégialité est d’ailleurs le maître mot puisque le répertoire de l’album est issu d’un travail commun. Se côtoient des ambiances acoustiques ou électriques, au sein desquelles parfois le sentiment de légèreté est bien présent. Mais l’énergie liée à la présence d’instruments électriques n’est jamais bien loin. Les compères se régalent.
L’album, qui contient onze morceaux, mène l’auditeur dans une belle balade, qui démarre avec « cursives ». D’emblée, l’ambiance est posée. le quatuor alterne les tempi, lent et rapide, laissant se glisser des sonorités proche du jazz -rock (grâace au jeu de claviers, comme sur « Il était une fois au royaume d’Oyo »). La musique, de construction parfois complexe, reste pour autant agréable à l’oreille, et chaque instrument y tient sa place avec justesse.
Je l’ai signalé plus haut, Rémy Gauche réclame des influences telles que Scofield ou Metheny. Cela s’entend, dans son jeu, son toucher, sa façon de construire ses soli. Mais cela ne va jamais jusqu’à la parodie, le plagiat.
Il reste authentique et c’est tant mieux.
Rémy Gauche se laisse aussi aller à des ambiances plus éthérées, plus calmes comme avec « Dark Song », morceau sur lequel le saxophone ténor de Thomas Koenig prend toute sa place au côtés de la guitare, sur fond de mélopées au clavier, signées de Philippe Monge.
Je n’irai pas nécessairement plus loin dans la description de cet album, vous laissant quand même la surprise de la découverte de ce musicien de talent.
Je vous laisse avec quelques extraits vidéos, histoire de vous faire une idée de la qualité musicale et instrumentale de Rémy Gauche.
A noter que Pierre de Bethmann vient prêter son talent de pianiste sur 5 morceaux.
Guillaume.
Antibes 1961, Ray Charles débarque en France

Le festival de jazz d’Antibes-Juan-Les-Pins, créé en 1960, prenant ainsi la suite des festival de Nice (1948) et Cannes (1958), accueille pour sa première venue en Europe, celui dont la réputation et le talent sont déjà établis et reconnus outre-atlantique, à savoir « The Genius », Ray Charles en personne. 4 soirs durant, du 18 au 22 juillet 1961, le talentueux et fantasque musicien, pianiste-chanteur et auteur-compositeur-interprète, va régaler la foule venue le découvrir en live dans la pinède de Juan-Les-Pins. C’est ce morceau d’histoire musicale, capté sur bandes à l’époque, que l’éditeur Frémeaux & Associés, nous permet ici de redécouvrir.
Car oui, c’est un morceau d’histoire, un moment rare et privilégié que les chanceuses et chanceux qui y ont assisté(e(s) lors de chacun des 4 récitals donnés, que l’on redécouvre en parcourant ce coffret de 3 cd.
Ce qui frappe d’entrée, malgré la qualité sonore d’époque, certes retravaillée, mais qui n’a rien à voir avec le son d’aujourd’hui, oui malgré cela, ce qui saute aux oreilles, c’est le talent, la musicalité, la générosité incarnés par Ray Charles. Les musiciens qui l’accompagnent, l’entourent, sont tous excellents, ainsi que des choristes nommées les Raelettes, afin de rendre la prestation du « Genius » encore plus remarquable.
Sur le premier volet, on découvre un musicien qui honore un registre musical très varié en interprétant des compositeurs tels que Horace Silver (« Doodlin’ « ), James Moody (« The story »), Randolph Tombs (« One mint julep ») ou Sam Heard, auteur du fameux « let the good time roll ». Il interprète également 2 titres qu’il a lui -même écrit et deviendront des standards, « What’d I say » et « Hallelujah I love her so ». Figurent aussi des titres où il n’est qu’accompagnateur au piano, au service de Tommy Ridgley, Guitar Slim, sur des titres tels que « I’m gonna cross that river » ou « A letter to my girlfriend ». Be bop, swing, blues, tout est là, sans fioritures.
Le second volet nous permet d’écouter des titres tels que « in a little spanish town », « Sticks and Stones », ou le très beau « It should have been me » et « Early in the morning ». Le talent du bonhomme est là, éclatant, évident, qui enthousiasme le public qui découvre cet artiste. La restitution audio permet à l’auditeur de voyager, d’être emmener par le répertoire de Ray Charles. Les volets suivants, enregistrés les 21 et 22 juillet 1961, si les titres sont à peu de choses près les mêmes, exceptés « I wonder », »Hornful soul », Tell the truth », « Believe to my soul », on trouve aussi avec bonheur des bonus tels que le morceau du pianiste Joe Turner, « We baby blues » ou encore ceux où Ray Charles n’est présent qu’en accompagnateur au piano ou à l’orgue Hammond : « Trouble in mind », « Ain’t that love », « Just keep it up », « there he goes » tous composés par Lula Reed.
Au final, ce coffret de 4 cd est un petit bijou qu’il faut prendre le temps d’écouter, de découvrir, de savourer. The « Genius », après cette première apparition française et européenne, allait, dans les décennies qui suivent, faire de fréquents allers-retours entre sa terre natale américaine et le Vieux continent, la France en particulier. Je peux en témoigner pour l’avoir vu dans les années 90 au Palais des Congrès, où il était venu accompagné d’un big band. Un concert hélas tronqué par des soucis techniques non résolus, qui ont agacé le maestro, au point que celui-ci décida de racourcir sa prestation, au grand désarroi du public venu le voir. Mais le temps passé sur scène, il donna sa pleine mesure.
Ci-dessous, quelques extraits vidéos de sa venue à Antibes. Le reste est à découvrir sur disque. Régalez-vous!
Guillaume.