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Tony Bennett, genèse d’une grande voix.

Tony Bennett. J’ai déjà évoqué ici-même cet immense artiste, chanteur-crooner contemporain de Franck « The Voice » Sinatra, lui-même sujet d’un article sur ce blog. J’ai donc déjà eu l’occasion d’évoquer toute l’admiration que je porte à ce géant du jazz, vu à l’Olympia il y a quelques années (spéciale dédicace à mon ami Florent avec qui j’ai partagé ce grand moment de musique, de jazz) avec son quartet et qui tenait à 91 ans une forme éblouissante. Il vient d’ailleurs de publier la suite de ses duos avec Lady Gaga (photo ci-dessous), dont leur reprise en duo de « My lady is a tramp » est loin de me séduire. Mais ce n’est pas pour ce disque que je vais ici écrire, non c’est pour évoquer la publication du double album intitulé « Five Classic Albums ». En effet, le fan de Bennett, comme celui où celle qui ne connaîtraient pas encore cet artiste, peuvent ici écouter 5 disques : « Tony Bennett Cloud 7 », « The beat of my heart », « Hometown, my town », « In person » et enfin « Tony Bennett-Count Basie swings, Bennett sings », connu aussi sous le titre « Bennett & Basie : Strike up the Band ».
Mais commençons par le début, avec « Cloud 7« . Il s’agit, à l’époque, de son premier album studio, en 1955, sur lequel il enregistre des titres puisés dans le catalogue énorme de la musique populaire américaine alors en vigueur entre 1920 et 1960 (ère d’arrivée du rock). Son timbre de voix de crooner y fait merveille, collant parfaitement aux ambiances musicales successives qui lui sont proposées. Le chanteur se révèle être un interprète de grande qualité. On y trouve notamment « I fall in love too easylly », le fameux « My baby just cares for me », repris ensuite par Franck Sinatra, Nina Simone, Nat King Cole, George Michael, Michael Bublé entre autres, et « Old Devil Moon », titre aussi chanté par « The Voice », Peggy Lee, Sarah Vaughan, Jamie Cullum, Judy Garland, Rosemary Clooney et interprété en version instrumentale par Miles Davis, Ahmad Jamal, Sonny Rollins ou encore McCoy Tyner. Sur les autres titres de ce disque, la voix de velours, le phrasé précis de Bennett servent parfaitement les orchestrations. Il en va ainsi sur « Love Letters », « Give me the simple life », « While the music plays on ». Avec le swinguant « I can’t believe that you’re in in love with me », le côté crooner ressort et Bennett se lâche, pour notre plus grand bonheur. « Darn that dream », dernier titre de ce premier disque, est une bluette, qui à mon sens n’a guère d’intérêt.
« The beat of my heart » est enregistré deux ans après « Cloud 7 », en 1957. Bennett aborde cet album avec le pianiste anglais Ralph Sharon, qui en sera également arrangeur et producteur. Tous les deux décident de donner une couleur particulière à ce disque en invitant des musiciens comme Chico Hamilton, Art Blakey ou Jo Jones. Cet album démarre fort avec le très joli titre éponyme, sur fond de guitare brésilienne, de percussions, pendant que Bennett s’amuse à chanter sur un rythme très rapide, parfois syncopé. S’en suit « Lazy Afternoon ». Piano, ambiance très calme, le chant domine tout. Une romance, balancée sans effort par ce crooner de grand talent. « Let there be love », un morceau initialement écrit par Nat King Cole, est ici mis en voix par Bennett avec une facilité déconcertante. « Lullaby of Broadway », qui enchaîne, révèle une orchestration basée sur les percussions, de cuivres, et Bennett y chante quasi à cappella. Superbe. Ce titre a également été chanté par Doris Day, Ella Fitzgerald, Dianne Reeves, Franck Sinatra, Ann Richards. Le chaloupant « So beats my heart for you », entre batterie au balais, cuivres et vibraphone, permet encore une fois à Tony Bennett de nous faire entendre son timbre clair, son phrasé classique mais ultra précis. Joli. « Let’s begin », morceau sur un rythme de bebop, un premier temps très semblable à une ballade, s’accélère. Toujours dans le mood de ces morceaux à bravoure vocale, « Love for sale » (voir le duo avec Lady Gaga en fin d’article), est là qui arrive, avec cette longue introduction en presque solo du premier couplet, juste soutenue par un discret piano. Après quoi, on retombe dans une ambiance latino, les percussions latinos et la batterie soutenant le tout remarquablement. « Crazy Rhythm » chanté sur une cadence rapide, fait pour moi partie des morceaux dispensables de cet album. Quand on écoute « Just one of those things », on pense tout de suite aux versions de Billie Holiday, Franck Sinatra, Ella Fitzgerald, ou Diana Krall, George Benson, mais là, de manière très surprenante, Bennett nous offre une version qui démarre sur des percussions, avant de s’emballer et de retrouver la forme classique de l’orchestre de jazz. Cette voie nouvelle explorée, pour déroutante qu’elle soit, est juste magnifique, entre rythmes presque tribaux et classique du jazz. « Army Air Corps song » débute comme les précédents. Décidément ce qui passait pour une nouveauté, devient un tic de répétition qui peut finir par lasser, par gâcher le plaisir.
« Hometown, my town« , sorti en 1959, toujours avec le complice Ralph Sharon au piano. La pochette donne le ton. Tony Bennett, sur le pont d’un bateau le ramenant à New-York, sa ville natale. Dès les premières notes de « Skysraper blues », donc, finies les escapades latinos, retour aux codes classiques, orchestre, swing, chant calibré sur des mélodies qui ne le sont pas moins. Bennett s’éclate, plaisante, bref, le plaisir du retour sur sa terre natale est ici pleinement exprimé. « Penthouse serenade » qui suit, c’est le morceau très doux par excellence, un morceau de retrouvailles avec sa bien-aimée (sa femme, New-York?, à vous de déterminer). Arrive « All by myself ». Non pas le titre de Céline Dion, avec cette fameuse note haut perchée tant attendue à chaque interprétation. Bel et bien un « All by myself » swinguant, balançant, un écrin de bon jazz, du plaisir en barre, une voix parfaite couvrant ce morceau. « I cover the waterfront », qui débute avec une pluie de violons, puis la voix et la clarinette, reste dans ce que Bennett sait faire de mieux. Ce morceau fut autrefois chanté par Billie Holiday ou Louis Armstrong, Franck Sinatra. « Love is here to stay », avant-dernier titre de cet album, et qui fut interprété par Dexter Gordon, Diana Krall et Tony Bennett en duo, Ella Fitzgerald, Carmen Mac Rae, Billie Holiday, Nat King Cole, Dinah Shore ou encore le pianiste Bill Evans, s’amène ici, sur un pas très swing, une foulée entrainante, tandis que le maestro nous distille son savoir faire vocal avec une aisance désarmante. « The party is over » (La fête est finie).. oui la fête de ce disque se termine avec ce morceau. Entre blues, désenchantement, nostalgie, sur fond de cuivres, de cordes, Bennett nous montre là une palette inhabituelle de sa voix, plaintive sans en faire trop. Superbe.
Toujours en 1959, Tony Bennett va faire une rencontre artistique importante. En effet il va travailler avec le légendaire musicien, compositeur et chef d’orchestre Count Basie (photo ci-dessus). Ensemble ils enregistrent « In person« . L’histoire de ce disque est spéciale. Prévu pour être enregistré live en mono au Latin Casino de Philadelphie en novembre 1958, il sera finalement réalisé un mois plus tard en studio, sous la houlette du producteur Al Ham, qui souhaitait une version stéréo. De faux applaudissements furent rajoutés. L’accueil reçu fur mitigé, jusqu’à sa ressortie en 1994, en version remixée. Dans son autobiographie publiée en 2007 dont le titre est « The good life » (en référence à sa chanson enregistrée en 1963, sur l’album « I wanna be around », qui est une adaptation du titre « La Belle Vie » écrite en 1962 par Jean Broussole, Jack Reardon et Sacha Distel, photo ci-dessous), Bennett, parlant de cet album, avoue n’avoir jamais compris pourquoi le disque ne fut pas enregistré live comme prévu et lui préfère le second enregistré avec Count Basie et son orchestre « Strike up the band ».
Avec « Count Basie swings, Bennett sings » également connu sous le nom de « Strike up the band » ce disque, daté de 1959, est la deuxième collaboration artistique entre Bennett et cette autre légende du jazz qu’est Count Basie. Tout débute par « I’ve grown accustomed to her song », morceau lent à souhait, ambiance romance, cuivres lents, un brin guimauve à mon goût. « Jeepers Creepers » heureusement nous réveille et nous emmène dans les bas-fonds des clubs de jazz, ça swingue, danse, le piano est léger, la rythmique se fait ronde, la voix de Bennett claire, précise. Avec « Growing pains », l’ambiance retombe, s’en remettant au seul talent vocal de Bennett soutenu par les instruments à l’arrière. « Poor little rich girl », ça swingue à nouveau, certes de manière douce et tranquille, quasi feutrée, mais enfin ça s’énerve un peu, les cuivres prenant peu à peu leur place de soutien. « Strike up the Band », qui donne son titre à l’album, est un morceau plein d’énergie, court certes, mais franchement, l’orchestre de Basie se donne à fond, et Bennett n’est pas en reste par dessus. Vient ensuite « Chicago », véritable déclaration à la ville de l’Illinois, située sur le lac Michigan, et dont une des nombreuses célébrités reste le fameux n°23 des Bulls, Mister Michael Jordan. Avec « I’ll guess I’ll have to change my plan », le crooner nous régale de son timbre de voix précis, fluide, clair. Parfois le chanteur donne le sentiment de courir un peu derrière le ryhtme effréné des orchestrations du Count. Mais ça ne reste que très rare.
Au final, ce coffret est tout de même un régal pour celles et ceux qui aiment le jazz vocal, le swing, les crooners, Tony Bennett, la musique bien orchestrée. Je vous laisse avec une sélection de titres, ainsi que quelques reprises.
Guillaume.
Muddy Gurdy, le blues venu d’Auvergne.

La pochette d’abord. Photo prise au sommet d’une montagne, montrant une herbe rase, le tout surplombant sans doute un grand vide. En arrière- plan, un vaste horizon. La musique ensuite. Le groupe Muddy Gurdy (« Vielle Boueuse »), vu le nom, la pochette, pourrait être originaire du sud des Etats-Unis. Détrompez-vous! Ce trio est français, originaire de l’Auvergne. Une chanteuse-guitariste de blues en la personne de Tia Gouttebel, un percussionniste spécialiste des rythmes latinos du nom de Marc Glomeau, enfin un joueur de vielle à roue qui n’ignore rien des musiques traditionnelles du centre de la France nommé Gilles Chabenat, avouez que l’attelage est pour le moins étonnant. Pour enregistrer « Homecoming », le trio a pris ses quartiers sur les terres du massif du Sancy, dans le Puy-de-Dôme. Grands espaces, air pur, tranquillité, tout pour travailler sereinement et enregistrer de façon détendue mais sérieuse cet album.
Attardons-nous donc dessus.
L’album démarre par « Lord Help », qui vous prend aux tripes d’entrée et vous fait rentrer dans l’univers de ce groupe aux contours particuliers. Un chant incantatoire, une vielle et une rythmique qui ne sont pas sans évoquer les chants indiens et les ambiances shamaniques. Le ton est clairement donné. Puis surgit « Chain gang », morceau écrit par le grand Sam Cooke, superbe blues tout en subtilité. Bientôt s’en suit le très beau « Down in Mississippi » de JB. Lenoir, qui nous plonge directement dans ces contrées gorgées de blues, de soleil, de poussières, de misères aussi, où il n’était pas rare de voir, au début du 20ème siècle, des bluesmen jouer, assis sur des long-chairs postées sur le perron des maisons en bois dans les états du sud américain. Le jeu de guitare subtil, fin, de Tia Gouttebel, sa voix parfaitement timbrée et légèrement trainante, nous emmènent dans ce blues concocté à la sauce auvergnate. Le tout continue avec « MC’s Boogie » d’excellente facture, un boogie-blues qui roule, avance, vous entraîne, vous choppe, vous donne envie de danser, puis se transforme en mode musical auvergnat. Jusqu’ici, moi qui ne connaissais pas ce groupe français, je suis positivement surpris. « Land’s Song », qui suit, est toujours sur le mode blues, un rien implorant, plaintif, mais toujours de très bonne tenue. « Another Man Done Gone », morceau chanté en anglais puis en français. « Afro briolage » démarre dans un climat vocal qui n’est pas sans évoquer notre Hubert-Félix Thiéfaine national (voix grave, chant dynamique). ce climat électrique, emballé, un peu loufoque, se poursuit jusqu’au bout. « Strange fruit », immortalisée par l’immense Billie Holiday, devenue un standard du jazz repris par Ella Fitzgerald, Nina Simone, Carmen Mc Rae, Sting, Jeff Buckley, Annie Lennox, Betty Lavette, qui évoque ces « étranges fruits » (en parlant des corps pendus qui se balancent pendus aux arbres du sud des Etats-Unis du temps du racisme institutionnel et surtout des actes odieux commis par le KKK). Avec « You gotta move », c’est le blues pur jus qui reprend ses droits, ça sent le bar enfumé, la poussière, l’estrade qui domine le bordel ambiant, où s’ébroue un groupe de blues pour chanter, distraire l’assistance plongées entre bières, engueulades et parties de cartes. Le morceau signé du bluesman Fred McDowell n’a pas pris une ride, et il est ici très bien servi. « Black Madonna », avant-dernier morceau de cet album, démarre en douceur, avant de nous embarquer dans une farandole, de nous faire lever, danser. Temps forts et lents sont alternés. Enfin pour conclure, le trio auvergnat nous déclame un « Tell me you love me » par la voix de sa chanteuse. C’est enjoué, léger, ça résonne comme un air de chanson irlandaise, mais nous sommes bel et bien en Auvergne, territoire de France, et Muddy Gurdy, livre sans faillir un morceau superbe tout comme son album.
Vraiment une belle découverte pour moi. Je vous invite à faire de même.
Guillaume.
Noa, retour en mode intimiste.

La chanteuse israélo-américaine Noa, apparue sur la scène internationale au début des années 90’s, s’est rendue célèbre avec sa chanson « I don’t know« , parue en 1994. Elle se fera connaître en France par le biais de l’émission « Taratata » animée par Nagui, en septembre 1995. Son timbre de voix haut perché, sa musique qui mélange savamment orient et influences pop occidentale vont faire mouche à l’époque.
Depuis elle a mené une belle carrière, enregistrant notamment en 1997, la version originale de la comédie musicale « Notre Dame de Paris « , en reprenant le rôle d’Esmeralda. En 1999, avec Eric Serra, elle écrit la chanson « My heart calling », pour la bande originale du film de Luc Besson, Jeanne D’Arc. Bref, elle ne chôme pas, croule sous les belles propositions.
Jusqu’à ce nouvel album, « Afterallogy », sorti cette année, où accompagnée du seul guitariste Gil Dor, elle revisite des classiques du répertoire jazz. Tout démarre par un « My funny Valentine » aérien, portée par la voix cristalline de Noa, soutenue par le phrasé léger de Gil Dor. Après cette entrée en matière, c’est le très beau « This Masquerade », servi de façon élégante par la voix de Noa qui déboule. Après ça, vient pour moi le premier morceau de bravoure du disque avec « Anything goes », morceau composé par Cole Porter, interprétée autrefois par Ella Fitzgerald, puis Stan Getz et Gerry Mulligan en version instrumentale en 1957, avant que Tony Bennett, avec le Count Basie Orchestra en 1959 n’en donne sa version chantée. Il renouvellera l’expérience en 1994, avec Lady Gaga, ce qui sera le premier duo de leur album « Cheek to Cheek ». Donc vous le voyez ce morceau a connu de belles interprétations avant celle de Noa ici. Après quoi la belle chanteuse nous entonne « Oh Lord », complainte en langue hébreu. Ici, la sobriété du jeu de Gil Dor s’accommode très bien de ce titre, de ce langage.
Jusqu’ici nous sommes comme dans une conversation intime avec cette artiste, au coin du feu, ou dans un bar, à la lumière tamisée des lampes restantes, offrant intimité, proximité. Le dialogue initié entre la guitare et la voix renforce cet effet évidemment. Cette sensation continue de s’exprimer avec « But beautiful », également enregistrée par Billie Holiday, Joe Pass, Tonny Bennett et Lady Gaga. Arrive alors le bien nommé « Something’s coming », initialement écrit pour le film-comédie musicale « West Side Story » aux 10 Oscars en 1961, avec George Chakiris (Nardo), Natalie Wood (Maria), Richard Beynner (Tony, amoureux de Maria) entre autres…). Le disque se déroule tranquillement, ici nous appelant à rentrer à la maison avec « Calling home » puis la belle brune nous chante « Darn that Dream », autrefois joué par le saxophoniste Dexter Gordon, le pianiste Ahmad Jamal ou encore Benny Goodman and his Orchestra. Bref de glorieux prédécesseurs. « Lush Life » nous arrive alors en pleine face, un écrin de pureté, un joyau, une moment de grâce vocale. Noa semble se régaler à interpréter ce registre jazz en mode guitare-voix. Ce dialogue intime, épuré, lui plaît. Ce titre lui aussi a fait l’objet de nombreuses versions. Les plus marquantes étant celles de John Coltrane, Nancy Wilson, Bud Powell, Rickie Lee Jones, Natalie Cole, Queen Latifah, Kurt Elling ou bien encore le duo Bennett-Gaga. Pour ce disque tout en subtilité, Gil Dor a composé « Waltz for Neta ». Magnifique. Et pour clore ce dialogue, Noa et Dor nous jouent un « Every time we say goodbye », autre morceau de Cole Porter, en toute simplicité, légèreté, retenue. De la haute couture. Très beau.
Je vous conseille donc de ne pas attendre pour écouter ce disque.
Guillaume.
Miles Davis, 30 ans déjà!

Ce 28 septembre 1991, il y a 30 ans, fut une journée sombre pour le jazz, pour la musique. En effet s’éteignait ce jour-là l’un des géants de l’histoire du jazz moderne, une figure emblématique qui a révolutionné, par son jeu, sa personnalité, son charisme, le monde du jazz en cours jusqu’à son arrivée dans les années 50. Sa disparition a fait l’effet d’un choc dans le monde du jazz, mais également au-delà tant, au fil des décennies, Miles Davis était devenu une icône, une marque, un modèle pour tout un tas de musiciens, y compris ceux ne venant pas du creuset du jazz.

On peut citer parmi ceux qui l’ont accompagné, les Bill Evans (le pianiste ci-dessus, puis plus tard le saxophoniste homonyme), John Coltrane, Sonny Rollins, pour la période des années 50. Ensuite, des années 60 à 80, il a engagé, formé des musiciens comme Herbie Hancock, Wayne Shorter, Chick Corea, qui l’a rejoint en 1968, à la place de Herbie Hancock, pour assurer quelques shows, et qui confie une anecdote étonnante sur ses conditions d’engagement et ce que lui demanda Miles Davis, je vous laisse découvrir cela dans la play-list en fin d’article. Autrement, Joe Zawinul, Kenny Garrett, John Mac Laughlin, Mike Stern, Tony Williams ont également évolué au côtés du trompettiste. Avec eux il va défricher les terres du jazz fusion, du jazz-rock, que ses musiciens perdureront à développer par la suite en créant des groupes devenus références tels que Weather Report, Mahavishnu Orchestra, Return To Forever.
Car Miles Davis est dès le début de sa carrière un perfectionniste, un chercheur, qui sait repérer les talents de demain, et leur sert de mentor. Il a joué ce rôle de figure tutélaire jusqu’à la fin de sa carrière.

Il a évidemment contribué à la création et l’émergence du courant bebop (1944-1948), aux côtés de Charlie Parker, Dizzy Gillespie, puis s’est frotté à tous les styles de jazz ou presque, puisqu’il a créé le cool jazz, avec le fameux album « The birth of Cool », aidé par un producteur nommé Gil Evans, paru en 1950. Vinrent ensuite le hard-bop, entre 1949 et 1955, qui correspond à son retour aux Etats-Unis, après un long sejour en Europe et surtout à Paris où il fréquente certaines figures artistiques de Saint-Germain ,en particulier Juliette Gréco,avec qui il vivra une belle histoire. Ne pouvant la ramener aux États-Unis pour l’y épouser ( le contexte social, politique et racial ne s’y prêtait pas), et Gréco bloquée à Paris par sa carrière, l’histoire se termine un peu brutalement. Miles Davis, déprimé, commence alors à tomber dans la drogue dure, cocaïne, héroïne. Il enregistre avec Sonny Rollins, Billie Holiday, Sarah Vaughan, termine de se battre contre son addiction dans la ferme de son père, puis, remis, réunit Kenny Clarke et Horace Silver pour écrire une nouvelle forme de jazz: le hard bop.
À la fin des années 50, alors devenu un musicien qui compte, Davis enregistre des albums comme, « Miles Ahead » (1957), »Porgy and Bess » (1958), »Sketches of Spain » (1959-1960), ou des morceaux tels que le « Round Midnight » de Thelonious Monk. En 1959, Miles Davis écrit un album qui constitue bientôt une pierre angulaire de son oeuvre musicale : » Kind of Blue », essentiellement basé sur des improvisations sur des pièces qu’il a composé. Ensuite, en 1963, à ses côtés il intègre Ron Carter, Herbie Hancock, Wayne Shorter, Tony Williams. Du sang neuf, pour un pas en avant vers le jazz électrique. En 1966, le groupe enregistrera « Miles smiles », puis ce sera « Sorcerer » et « Nefertiti » en 1967.
Alors que se faufile une révolution stylistique et sonore à l’autre des 70’s, Davis en profite pour peaufiner une musique jazz qui soit au rendez-vous de ce carrefour des genres jazz et rock. Le meilleur exemple en est l’album « Bitches Brew »(1970), sur lequel apparaissent le guitariste écossais John Mac Laughlin et le claviériste autrichien Joe Zawinul.

Si aux Etats-Unis, malgré le racisme ambiant, il est assez vite devenu un musicien reconnu qui avait pignon sur rue et tournait sans trop de difficultés, ce qui pour un musicien noir à l’époque, était une vraie performance. En France, il s’est fait connaître en réalisant en une prise (!), pendant sa projection, la musique du film « Ascenseur pour l’échafaud » (1958) de Louis Malle, avec la jeune Jeanne Moreau. Un tour de force qui marqua les esprits et forgea encore davantage sa légende.
Miles Davis était un perfectionniste. Jusqu’à l’insupportable pour certains des musiciens et techniciens qui l’ont côtoyés tout au long de sa carrière. Mais il savait reconnaître le talent de ses partenaires, et leur laisser champ libre quand cela était utile pour la musique et pour le le show sur scène. Nombre d’entre eux, de John Coltrane à Chick Corea, en passant par Mike Stern, Herbie Hancock, John Scofield, et j’en oublie, ont tiré bénéfice d’avoir été partenaires du maître.

Musicalement, si Miles Davis était un homme ouvert d’esprit (son album posthume « Doo bop », photo ci-dessus, sorti en 1992, aux influences rap en est la parfaite illustration), il était également à l’affût de tout, du moindre incident musical sur lequel il pourrait éventuellement rebondir. Chick Corea raconte à ce sujet qu’un soir, lors d’un concert, il commet une erreur d’accord au piano, jouant ainsi une mauvaise note. « Immédiatement, dit-il, Miles s’est tourné vers moi, s’est servi de cette fausse note pour démarrer un solo ». Le génie dans sa plus belle expression. A l’affût de tout. Pour servir son art, la musique. A propos de se tourner, Miles Davis avait pris une habitude, très tôt, celle de tourner le dos au public parfois pendant ses concerts, sur certains morceaux, ce qui fut pris par le public et les critiques de l’époque pour du mépris. Il gardera cette habitude tout au long de sa carrière, expliquant que c’était une façon pour lui de mieux être en harmonie avec son instrument, avec ses musiciens.
Malgré un succès qui ne se dément pas, des collaborations et projets à foison, Miles Davis, comme tout artiste, génial de surcroît, connaît des périodes de doutes très fortes. C’est ainsi qu’entre 1974 et 1979, le trompettiste va se retirer du monde qui l’entoure, de la scène, des studios, pour ne se consacrer qu’à lui-même. Une parenthèse sans création qui va s’avère bénéfique et salvatrice pour Davis. Plus tard, lors d’une interview donnée lors d’un passage à passage à Paris en 1989, il évoquera cette période et dira qu’il a mis 3 ans à retrouver ce son si particulier qui est le sien. « Certains jours je me suis trouvé vraiment nul », confie-t-il.
Dans les années 80, il fera appel au bassiste et producteur Marcus Miller (David Sanborn, Luther Vandross..), qui collaborera avec lui sur tous les albums au cours de la décennie (« The man with the horn » ; « »We want Miles » ; « Star people »; « Tutu », qui fera un carton à sa sortie ; « Music from siesta » ; « Amandla », qui marque un retour aux racines africaines). Dans la décennie 80-90, Miles Davis, outre Marcus Miller, va engager nombre de jeunes musiciens de la scène jazz-rock, à savoir John Scofield, Mike Stern, le bassiste Darryl Jones (aujourd’hui au sein des Rolling Stones), les saxophonistes Kenny Garrett et Bill Evans, mais aussi le percussionniste Mino Cinelu. Avec eux, il va donc construire un nouveau répertoire, plus rock, un nouveau son, aidé par Marcus Miller. Il va ainsi permettre à un public plus large de venir au jazz, dont il jugeait l’audience trop limitée. Par ailleurs, il va s’attaquer au répertoire d’icônes de la pop-music comme Michael Jackson ou Cindy Lauper. Ainsi il sort des sentiers du jazz, devient un musicien qui transcende les genres musicaux. Finie l’image du pur jazzman, Miles Davis est devenu lui aussi un pop-star. Pour enregistrer « Tutu » en 1986, en conflit avec sa maison de disques, qui ne lui accorde pas les droits sur ses propres morceaux, il s’en remet donc à Marcus Miller. La collaboration sera un franc succès, l’album aussi. Du coup, ils remettent ça en 1989 pour « Amandla ». Là aussi, le succès est au rendez-vous. Preuve qu’il est devenu un musicien apprécié des stars du rock, le groupe américain Toto l’appelle pour jouer sur « Can’t stop me now », qui figure sur l’album « Farenheit ». Dans la foulée il enregistre des sessions avec le regretté génial Prince. Il existe parait-il un disque témoin de cela, mais il est enfermé dans le coffre fort de Paisley Park, la résidence-studios où résidait et enregistrait le kid de Minneapolis.
Jusqu’à son décès, ce fameux et triste 28 septembre 1991, il va multiplier les disques, concerts, en Europe notamment, dans les grands festivals comme celui de Vienne. Véritable star mondiale, ayant dépassé depuis longtemps, par sa volonté, les simples frontières du jazz, Miles Davis est demandé partout. Chaque grand festival veut s’enorgueillir de sa présence, ce qui garantit des recettes commerciales et des retombées médiatique importantes. Le musicien-star est devenu un produit qu’on s’arrache.


En 2014, pour rendre hommage à cet immense artiste, l’acteur américain Don Cheadle (photo ci-dessus) lance une souscription pour financer un film sur Miles Davis, qui s’appellera « Miles Ahead« (affiche ci-dessus), en référence à l’album du même nom sorti en 1957, avec également Ewan Mac Gregor. Don Cheadle apprend la trompette pour l’occasion, mais ce sont bien les morceaux de Davis qui servent la bande-sonore du film. Le film sortira en octobre 2015 au festival de New-York.
Parti alors qu’il avait sans aucun doute encore beaucoup de musique à créer, partager, de rencontres nouvelles à initier, de talents à révéler, il laisse un héritage musical immense qui court sur près de 50 ans, varié, complexe, à la hauteur du musicien prolifique qu’il était, . Son empreinte est indélébile dans l’histoire du jazz, dans l’histoire de la musique du 20ème siècle. Il y a un avant Miles Davis. Il y a désormais,1991, un après Miles Davis. Nombre de jeunes musiciens, trompettistes ou simples compositeurs, perpétuent son oeuvre, son travail.
Guillaume.
Billie Holiday, une vie de Blues pour cette Lady.

Le livre qui nous occupe ici, « Lady sing the Blues« (Editions Parenthèses, collection Eupalinos), dont le titre est une référence à l’un des titres phares du répertoire de la chanteuse, est différent de celui écrit par Philippe Broussard en 2015 aux éditions Stock, intitulé « Vivre cent jours en un« , car c’est une autobiographie, co-écrite avec l’aide de William Dufty, publiée en 1956. Ce qui change également, c’est que Billie Holiday, contemporaine d’Ella Fitzgerald, s’exprime ici à la première personne dans le livre, donc nous sommes, nous lecteurs, dès le début embarqués dans son sillage, dans ses aventures d’enfant ballotée, puis on la suit lors de son départ seule à New-York, dans le quartier de Harlem, dans un appartement de deux pièces, avec un piano droit, pensant échapper à la misère, aux sévices masculins, au racisme, bref à tout ce qu’elle a subi depuis le début de sa vie. Billie Holiday nous raconte également son arrière grand-mère, maîtresse d’un propriétaire terrien blanc, qui possédait des plantations et nombre d’esclaves. Elle nous parle des clubs interdits aux noirs, tels le fameux Cotton Club(photo ci-dessous), sauf aux musiciens et danseurs venus là pour distraire les blancs qui souhaitent s’encanailler et passer du bon temps en dépensant leur argent.

Personnage important du livre et de sa vie, sa mère, qui est tout pour elle, qui détestait la solitude et s’arrangeait toujours pour avoir la compagnie des hommes, et quand ceux-ci n’étaient pas là, dans celle de l’alcool. Cette mère à qui, bien qu’ayant très tôt quitté l’école, Billie va, par le biais de jeux scolaires, apprendre à lire et écrire. Son père disparu de la circulation très tôt dans sa vie, elle en aura des nouvelles de temps en temps par courrier, ce dernier évoquant alors sa fierté envers le devenir de sa fille. Puis un soir de 1937, tout bascule. Alors qu’elle s’apprête à rentrer en scène, un téléphone sonne et la demande. Un voix lointaine demande si elle se nomme bien Eleanore Billie Holiday, ce qu’elle confirme, et si son père s’appelle Clarence Holiday. Double confirmation. Cette voix lointaine lui annonce alors le décès de son père et demande si elle souhaite récupérer le corps. Bref, des moments très difficiles à vivre. Et puis au détour d’une anecdote, Billie Holiday évoque comment lui est venu le nom de « Lady Day ». « C’est Lester Young, mon saxophoniste, qui à côté de « Lady » a rajouté la syllabe day de mon nom, ce qui a donné « Lady Day » et c’est resté ».

Son entrée dans l’orchestre du grand Count Basie (surnommé la machine à swing de Kansas City, sa ville natale), pour gagner en expérience et se faire des sous. Mais sur ce côté là, déception, elle ne touchera que quatorze des trente-cinq dollars promis. Elle dit sans détours son aversion pour la routine des tournées, la monotonie qu’elles engendrent, et qu’elle a failli quitter le groupe avec Lester Young, lassée de cette vie et des accusations de mettre la pagaille dans la troupe en séduisant tous les musiciens, ce dont elle s’est fortement défendue. Nous révèle les vicissitudes vécues lors d’une tournée, à Detroit, en période de ségrégations raciales. Le propriétaire du théâtre où devait se produire Basie et son orchestre avec Lady Day, exigea d’elle, trop pâle à son goût, qu’elle se fonça le teint, sinon pas de concerts!!! Ulcérée, mais collégiale, Holiday finit par obtempérer. Ou la remarque d’un patron de club à Chicago, un certain Joe Glaser, qui lui demanda de maigrir si elle voulait un contrat ! Le sexisme dans toute sa splendeur!!!! Outre tous ces désagréments, Billie Holiday a retenue de son expérience avec Count Basie un bagage formidable, des rencontres humaines de qualité et surtout la somme de titres travaillés et qui désormais constituaient le répertoire du Count.
Au delà de ces faits, et de beaucoup d’autres narrés avec justesse, émotion, colère, drôlerie parfois, déception aussi, le lecteur découvre les multiples facettes de Billie Holiday. Ce récit nous retranscrit très bien tout cela, nous replonge au côté de cette grande dame du jazz, dans cette période sombre de l’Amérique, où la ségrégation régnait à plein, où les noirs, hommes ou femmes n’avaient que peu droit de cité, bref où la vie était un vrai enfer pour elles, pour eux. Le seul moyen d’en sortir, de se faire respecter des blancs, était de s’imposer dans le monde artistique, ici le jazz, verrouillé pourtant à l’époque par des hommes. La vie de cette diva qui n’aura vécu que 44 ans, tout en nous laissant des titres inoubliables comme bien sûr « Lady sing the Blues », » Strange fruit »(chanson créée en 1939, au Café Society à New-York, un des premiers clubs ne pratiquant pas de discrimination raciale), « I’m a fool to want you », « My man » et beaucoup d’autres, est ici contée sans détours, ni commisération, juste avec la bonne distance et le ton sincère d’une artiste qui se livre, en confiance.
Tout au long du livre, le lecteur se régale, car au delà des moments glaçants, il est rempli d’anecdotes drôles tendres, on la suit aussi dans sa carrière musicale, on est avec elle quand elle doute, quand elle retombe dans ses travers, quand elle chante. Bref c’est une belle évocation, très fidèle, qui prend parfois le lecteur aux tripes, car Billie Holiday s’avère être un personnage attachant, sensible, malgré ses fragilités, ses cicatrices de vie. Elle fait face, non sans mal, dans ce monde d’hommes qu’est le Jazz, le Business, aux musiciens, producteurs, agents, directeurs de clubs ou de casinos, bref à tous ceux qui pourraient avoir une position de pouvoir sur elle. Mais elle sait aussi reconnaître leur talent quand il est là, leur honnêteté, leur bienfaisance si elle est réelle. Reste que parfois, sa naïveté lui a joué de sacrés tours, tant sur le plan privé que professionnel. Cela l’emmenait alors vers des paradis artificiels que sont l’alcool et la drogue.
A celles, ceux qui ne connaitraient pas encore cet immense artiste, l’une des plus grandes voix du jazz du vingtième siècle, je conseille sans hésiter de lire ce livre, pour s’approcher au plus près de la légende, de la vie bien remplie loin d’avoir été un long fleuve tranquille (hé oui, Laurent et Carine, j’ai placé une belle référence cinématographique .. pour le plaisir..) de celle qui a tout subi, vécu, déboires, gloire, avant la déchéance et finir dans la misère, éloignée de tous, jusqu’à être enterrée dans un cimetière à l’écart de New-York, ville de ses triomphes. Comme si on voulait oublier l’immense artiste qu’elle a été. Comme un ultime affront. Heureusement nous reste ses disques, sa voix, en guise de patrimoine, de témoignage ultime.
Pour celles et ceux qui voudraient découvrir cet immense artiste, il existe plusieurs pistes :
CD :
-Solitude / Billie Holiday.
-Billie Holiday : Jazz blues collection / Editions Atlas.
-The centennial collection / Billie Holiday.
-Lady sing the Blues / Billie Holiday.
Livres :
-Lady in Satin : Billie Holiday, portrait d’une diva par ses intimes / Julia Blackburn (Editions Rivage Rouge, 2015).
-Vivre Cent jours en Un » / Philippe Broussard (Editions Stock, 2016).
-BD : Billie Holiday / Muñoz & Sampayo (Editions Casterman, 1991).
Bande dessinée Jazz :
-Billie Holiday / Claire Braud (Editions Nocturne). 2 cd + Bd de 16 pages.
-Lester Young & Billie Holiday / Jean-Charles Baty (Editions BD Music). 2cd + Bd de 24 pages.
-Count Basie / Michel Conversin (Editions Nocturne). 2 cd + Bd de 19 pages.
DVD :
-Billie Holiday, Lady Day / Philippe Koechlin.
-Le film « Lady sing the Blues », réalisé en 1972 par Sydney J.Furie, avec la chanteuse Diana Ross dans le rôle titre. Elle sera nommée aux Oscars cette année-là pour l’Oscar de la meilleure actrice.
-Le film « Billie Holiday, une affaire d’Etat » de Lee Daniels, (sorti juin 2021), avec l’actrice Andra Day dans le rôle titre (nomination aux Oscars pour la meilleure actrice).
-Un dvd documentaire intitulé « Billie » de James Erskine (2020).
Guillaume.
Billie Holiday, un dernier jazz à Paris
Billie Holiday. Légende du jazz, à la vie plus que tourmentée (viol, femme battue, drogue, prison…), cette voix mythique du jazz s’est éteinte le 17 juillet 1959, reposant depuis dans un cimetière à l’écart de New-York, ville qui l’a vue triompher, et qui fut témoin de ses déboires, voire de ses addictions, de ses dérives nocturnes. L’artiste, devenue icône du jazz, fascine encore aujourd’hui, près de 50 ans après sa mort. Sa chanson « Strange fruit », évoquant le destin de ses frères de couleurs, dans l’Amérique raciste-ségrégationniste de la première moitié du 20ème siècle, finissant souvent se balançant au bout d’une corde, comme des « fruits étranges » tombant des arbres, fit d’elle une porte-voix antiraciste.
Outre le personnage mythique, la star adulée, c’est aussi l’enfant ballotée, la violence subie, morale et physique, les petits boulots, la chanteuse débutante, la femme en proie aux drogues, la séductrice, l’alcoolique, les déménagements, c’est toutes ces facettes que nous propose Philippe Broussard, journaliste, Prix Albret Londres en 1993, dans son livre « Cent jours en un » (Editions Stock, 2013). De New-York, ville de triomphes et de chute finale, à sa dernière tournée européenne, à l’automne 1958, c’est le parcours chaotique Lady Day, artiste adulée et déchue. Un dernier baroud d’honneur, comme pour dire « Je suis la SEULE, l’UNIQUE ». Fierté humaine, orgueil artistique.
Contemporaine de Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan, Billie Holiday effectuera donc une dernière tournée, une dernière virée, comme chant du cygne d’une star sur le déclin, fatiguée par la vie, les hommes, les excès en tous genres, que dépeint l’auteur avec beaucoup de justesse. Les témoignages recueillis de personnes ayant connu, côtoyé de près Lady Day, complètent ce portrait : les musiciens Mal Waldron (son pianiste pendant 20 ans), Art Simmons (pianiste du Mars Club), le restaurateur Leroy Haynes, ou les propriétaires de jazz-club Barbara Butler (Mars Club) et Ben Benjamin (Blue Note), qui ont accueilli Lady Day à Paris.
« Cent Jours en Un » nous embarque dans le sillage de cette femme emplie de douleurs, de cet artiste fragile, en proie aux doutes. L’auteur révèle son côté mentor auprès de jeunes talents rencontrés au hasard de la vie. Comme un prolongement de vie artistique, alors que son aura décline, que sa voix se perd. La peur sur scène, la voix qui va et revient, les colères, les caprices, la peur de l’abandon par les autres, peur de la solitude (liée à son enfance), sa générosité, son amour de l’humain (homme et-ou femme), ses rencontres avec le Paris des artistes ou de ceux qui, comme elles, y viennent (Duke Ellington, Miles Davis, Dizzy Gillespie), Philippe Broussard décrit cela avec justesse, respect, sans jamais prendre partie. C’est aussi un portrait du Paris , De Montmartre, à Saint-Germain, Pigalle, des bars louches, des dealers nocturnes, fournisseurs des jazzmen demandeurs. Une ambiance que le parolier Jacques Lanzmann mettra en mots, permettant à Jacques Dutronc, l’homme au cigare et ray-bans, de faire un tube avec « il est 5H.. Paris s’éveille ».
Oui ce livre est riche, bouleversant, drôle, triste, pathétique, rendant un bel hommage à l’une des plus grandes figures du jazz vocal du 20ème siècle.
A lire, sans hésiter.
Guillaume.