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Michel Legrand, entre jazz et musiques de films, chapitre 2.

Suite au volume 1 déjà chroniqué ici, voilà donc le second volet du coffret « Le monde musical de Michel Legrand » concocté par l’excellent label Frémeaux & Associés. Dans le précédent article consacré à ce coffret magistral, je m’étais arrêté sur la partie jazz de ce grand musicien, qui consacrait un disque entier à Cole Porter, immense musicien de jazz du début du vingtième siècle.
Pour ouvrir ce deuxième chapitre du coffret intitulé « Le monde instrumental de Michel Legrand : Jazz et Musiques de films », sur le disque numéro 7, on démarre avec la formation orchestrale de Michel Legrand, qui interprète le titre « Falling in love again », classique du jazz américain, puis on arrive à la chanson « Avoir un bon copain » chanté par Jean Boyer, puis on découvre « qu’avez-vous fait de mon amant », le fameux « Cheek to Cheek » de Irving Berlin », la belle chanson de Jacques Prévert « Démons et merveilles », l’illustre thème musical composé par Dimitri Tlomkin, du film « Le train sifflera trois fois » (1952, Fred Zinnemann), avec notamment Gary Cooper et Grace Kelly. Puisque j’évoque les musique de films, vous y retrouverez aussi la musique de « La rivière sans retour » (1954), d’Otto Preminger, avec le duo Robert Mitchum-Marilyn Monroe. Une version orchestrale surprenante de « Only you » est au menu de ce disque. Le saxophone remplace le lead vocal. S’en suit « Un américain à Paris », morceau écrit par le célèbre compositeur de jazz George Gershwin, et qui servit de bande-son au film du même réalisé par Vincente Minnelli en 1951, avec à l’affiche Gene Kelly, Leslie Caron et George Guétary. Cette fois Michel Legrand reste au piano tout en dirigeant un orchestre symphonique. Pour finir ce disque, Michel Legrand nous gratifie de morceaux qui composent la bande originale du film « Une femme est une femme » (1961, Jean-Luc Godard), avec Anna Karina, Marie Dubois, Jean-Claude Brialy et Jean-Paul Belmondo.
Dans le disque suivant, le numéro 8, Michel Legrand nous emmène cette fois dans l’univers des musiques de films qu’il a écrit et dirigé. Cela démarre par « L’Amérique insolite » (1960), documentaire de François Reichenbach, sur le quel il a travaillé et dont il composé la musique. Puis on enchaine avec « Terrain vague »(1960), réalisé par Marcel Carné, dont là encore il écrit en collaboration avec Francis Lemarque la musique. Après arrivent plusieurs titres évoquant « Le Cave se rebiffe », célèbre film de Gilles Grangier (1961), sur des dialogues de Michel Audiard, avec un casting au petits oignons, puisque Jean Gabin est entouré de Bernard Blier, Maurice Biraud, Françoise Rosay, Robert Dalban ou Ginette Leclerc. En 1962, Michel Legrand retrouve le trio Grangier-Audiard-Gabin pour « Le Gentleman d’Epsom » (1962), avec sa thématique autour des courses de chevaux… monde cher à Jean Gabin. Y figurent Louis de Funès, Paul Frankeur, Jean Lefebvre, Madeleine Robinson. Puis on change de registre cinématographique avec tout d’abord « Eva » (1962, Joseph Losey), avec Jeanne Moreau dans le rôle principal. Michel Legrand nous invite à écouter le thème d’Eva, puis celui de Adam et Eva, chanté par Tony Middleton. Enfin pour clore ce disque, Michel Legrand nous offre des extraits de la bande musicale de « Lola » (1962, Jacques Demy), avec Anouk Aimée dans le rôle-titre. Un joli choix.
Pour aborder le neuvième disque, Michel Legrand nous offre un voyage entre la France et es Etats-Unis, entre Paris et New-York, plus précisément Broadway, deux villes où il a vécu, travaillé pendant de longues années. Dans la première partie de ce disque, là encore avec son orchestre Michel Legrand revisite ou joue fidèlement des airs de chansons comme « C’est si bon », « Milord » (écrite par Marguerite Monnot et Georges Moustaki pour la grande Edith Piaf), « que reste-t-il de nos amours » et « Boum » du grand Charles Trenet, un standard du jazz signé Cole Porter « c’est magnifique », « la maladie d’amour », morceau traditionnel antillais, puis la « Petite Fleur » du clarinettiste Sidney Bechet. C’est très agréable de replonger dans ce patrimoine musical, qui avec le temps, peut avoir tendance à disparaître des rayons, des mémoires. C’est donc un travail bien utile accompli par Michel Legrand et encore davantage par Frémeaux & Associés, de ressortir ces pépites. Sur l’autre partie du disque, consacrée à sa période « Broadway », Michel Legrand nous sert une farandole de titres jazz, toujours accompagné de son orchestre. On y trouve « On the street where you live », « Yesterdays », ensuite deux titres de Georges Gershwin, le classique incontournable multi-interprété « Summertime », de même que « I got plenty of nuttin’ « , ou encore « Smoke gets in your eyes ».
Enfin pour clore ce deuxième chapitre de ce long coffret, le dernier disque rassemble 3 albums, « Strings on fire » (1962), puis un album avec orchestre à cordes, et le troisième, « Michel Legrand se joue Nougaro » (1962) . Sur « Strings on fire », on trouve des perles de morceaux orchestrés, comme « Perfidia » chanté à l’origine par Alberto Dominguez, « Boulevard of the Broken Dreams », autrefois chantée par Frances Langford, « Close your eyes » immortalisé par Bernice Petkere en 1933, « Come-back to Sorrento » donnée en version originale (italien) par Dino « Dean » Martin en 1953, et pour terminer, une orchestration du « All or nothing at all » que Franck Sinatra chanta merveilleusement dès 1939. Sur le second album, ça démarre en douceur avec la chanson « Venus » mise en valeur par des cordes très en avant et des choeurs trop discrets hélas. Puis nous avons droit à une très belle version de la chanson d’Orphée (Mahna de Carnaval), tirée du film Orfeu Negro, réalisé par Marcel Camus (1959), dont la musique originale est dû à Luiz Bonfa et Antonio Carlos Jobim. Figure aussi le titre « Adieu tristesse »(Felicidade), également extrait de Orfeu Negro.
Sur le disque consacré au taureau de Toulouse, Claude Nougaro, Michel Legrand reprend quatre chansons célèbres du chanteur français. Il s’agit de « Les Dom Juan », « Le cinéma », « Où? », et « Le jazz et la java ». Que du bonheur en barre d’écouter les orchestrations de ces morceaux. Le son ici est plus moderne, les orchestrations plus jazz-pop, en tous cas sur « Les Dom Juan » où synthés classiques, piano et synthés électroniques se côtoient joyeusement. « Le cinéma » se voit habillé d’un orchestration swinguante et syncopée, un peu folle, mais bien dans l’esprit original. « Où » nous embarque sur des atmosphères très habitées, des rythmes qui se suivent à une cadence folle, le tout dans une ambiance sonore qui fleure bon le psychédélique des 70’s. « Le jazz et la java » qui clôt ce disque et ce long coffret est un morceau qui résume parfaitement ce qu’a été la vie et la musique pour Michel Legrand. Une promenade sonore dans des univers différents, un amusement permanent effectué dans le sérieux, pour toujours donner le meilleur de lui-même.
Le résultat est magnifique.
En cadeau bonus, nous avons droit à des titres comme « Sans toi », chantée par Corinne Marchand, « La belle P…. », « La joueuse », La menteuse », ces titres figurant sur la bande originale du film « Cléo de 5 à 7 » (1962) d’Agnès Varda. Bref c’est un joli coffret, un objet musical à savourer tranquillement.
Guillaume.
Michel Legrand, entre jazz et musiques de films, chapitre 1.

Michel Legrand, pianiste-compositeur de génie, décédé en janvier 2019, à qui j’ai déjà consacré ici un article, lsur sa collaboration musicale avec le réalisateur Jacques Demy, fait l’objet par le label Frémeaux, d’un coffret 10 cd retraçant son travail de création de musique jazz, ses orchestrations de chansons françaises, d’airs traditionnels, de musiques de films, sur lesquels il a travaillé ou non. L’inventaire est copieux et ne couvre que la période allant de 1953 à 1962. Avant que Michel Legrand ne devienne un musicien ultra demandé après les succès des « Parapluies de Cherbourg »(1963), et quatre ans après des « Demoiselles de Rochefort »(1967), réalisés par Jacques Demy. Une nouvelle carrière s’offrira lui désormais.
Dans la première partie du coffret, qui regroupe les six premiers disques, que je vais évoquer ici, il est possible de découvrir un Michel Legrand, qui dès 1953, dirige, sous le pseudo de Big Mike, un orchestre à cordes, avec lequel il interprète des chansons françaises de Gilbert Bécaud (« viens »), puis en 1955 Vincent Scotto (« sous les ponts de Paris »), ou Francis Le marque (« à Paris »). Et même du jazz avec Cole Porter (« I love Paris »).
Dès le second disque, qui aborde l’année 1956, on passe aux musiques de films que Michel Legrand, sans les avoir écrites, dirige avec sa grande formation orchestrale. On y trouve « La complainte de la butte », tirée du film « French Can-Can » (1955) de Jean Renoir, « le grisbi », extrait de « Touchez pas au grisbi »(1954), de Jacques Becker, avec un casting royal Jean Gabin-Lino Ventura-Paul Frankeur, « si tu m’aimais » tirée du film de René Clair « Les grandes manoeuvres »(1955), ou encore « Smile » qui vient de « Les temps modernes » (1936) de Chaplin. Les orchestrations sont brillantes, parfois enjouées, toujours dans un style très aéré, plaisant à écouter. Il en va de même pour le rock, nouveau genre pour lui, vers lesquels il se dirige, avec entre autres « rock around the clock », popularisé aux États-Unis par Bill Haley.
Dans le troisième disque, Michel Legrand aborde avec bonheur les airs traditionnels notamment américains. Ainsi « Red river valley », « Greensleeves », « All throught the night » et « Along the Colorado » subissent-ils sa patte orchestrale. Le résultat est frais, agréable à entendre. Il ajoute même sa patte musicale sur la fameuse chanson française » en passant par la Lorraine ».
Sur le quatrième opus, année 1957, on change d’univers, pour aborder le jazz. Là, on sent que le musicien-mélomane se régale véritablement. Michel Legrand aborde le morceau mythique écrit par Duke Ellington (« Caravan »), puis il nous embarque vers les rivages colorés du Brésil avec « Bahia », de Ary Barroso, et d’Espagne avec le chatoyant « Granada » signé de Augustin Lara. Il nous régalé aussi d’une très belle version de « Besame mucho ». C’est un régal que d’écouter ce voyage en musiques ici rassemblées par Frémeaux. Et le plaisir n’est pas terminé.
En effet dans le chapitre 5 de ce gros coffret, est abordé la partie jazz de Michel Legrand, à travers l’année 1958. Imaginez le bonheur ressenti par ce musicien-mélomane lorsqu’il fut amené à diriger des oeuvres écrites par de grands noms de l’histoire du jazz. Que ce soit Duke Ellington (photo ci-dessus) avec « Dont get around much anymore », Fats Waller (première photo ci-dessus) et sa « The Jitterburg waltz », Benny Goodman avec « Stompin’at the Savoy », Dizzy Gillespie et son célèbre « Night in Tunisia », ou encore Django Reinhardt et son fameux « Nuages », que demander de mieux ? Michel Legrand a donc eu le plaisir de jouer de faire revivre ces standards du jazz sous sa direction, sentiment jubilatoire à n’en pas douter. Le résultat est une fidélité à l’esprit des oeuvres telles que conçues par leurs auteurs, mais là encore Michel Legrand y met sa touche personnelle, tout en subtilité.
Sûr la sixième partie de ce coffret, qui évoque là aussi l’année 1958, on retrouve Michel Legrand à la direction d’orchestre pour honorer l’un des plus grands compositeurs de musique jazz du vingtième siècle, Cole Porter. A ce monsieur désormais un peu oublié, et c’est fort dommage, le grand public, les musiciens, chanteurs et chanteuses de jazz doivent de pouvoir entendre, jouer, chanter des titres tels que : « Just one of things », « in the still of the night », « What was this thing called love », « Anything goes », « I get a kick out of you », « I’ve got you under my skin », « Night and Day »…et beaucoup d’autres encore. Des interprètes aussi nombreux et célèbres que Frank Sinatra, Michael Bublé, Jamie Cullum, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Diana Krall, Lisa Ekdhal, Harry Connick Jr., Herbie Hancock, Bill Evans, Oscar Peterson, Dinah Washington, Charlie Parker, Marlène Dietrich, Natalie Cole, Rod Stewart, pour ne citer qu’eux …ont repris un jour où l’autre les chansons citées ci-dessus. Michel Legrand se tire à merveille de cet exercice et on sent pleinement le plaisir qu’il prend à jouer ce répertoire de standards.
Cette première partie du coffret consacré à Michel Legrand nous montre donc un musicien multi-cartes, passionné et passionnant, sautant d’un genre à l’autre avec une aisance déconcertante et une facilité incroyable.
La suite sera l’occasion d’une prochaine chronique.
En attendant je vous laisse avec une playlist regroupant les titres évoqués dans cet articles, soit interprétés donc par Michel Legrand, mais aussi par leur compositeurs originaux, et par quelques interprètes célèbres. Régalez-vous.
Guillaume.
Wynton Marsalis, du jazz à la musique classique.
A 57 ans, dont plus de 40 ans de carrière, Wynton Marsalis musicien multicartes issu d’une famille nombreuse dédiée à la musique jazz ( j’y reviendrai dans un prochain article), est avant tout connu dans le monde entier pour ses talents de trompettiste hors pair, de compositeur et chef d’orchestre de jazz.
En France, il est devenu une véritable référence, une icône, depuis son premier passage au Festival de Jazz de Marciac, dont il est devenu le parrain en 1991. S’y investissant depuis chaque année, il revient et travaille avec les écoles de jazz du coin, en plus des programmes qu’il présente avec un bonheur toujours égal au public qui vient le voir. Il a pour cela gagné le droit d’avoir une statue à son effigie au centre d’une cour d’école de Marciac. Tout un symbole! Homme très occupé, Il est par ailleurs directeur général et artistique de la grande institution américaine de musique qu’est le Jazz at Lincoln Center de New-York.
Mais c’est du compositeur de musique classique que j’ai décidé de vous parler. Car c’est un aspect méconnu de sa carrière, comme c’est le cas pour le performer vocal Bobby Mac Ferrin. Les musiciens de jazz ont très souvent été influencé par la musique classique (tout comme la musique classique s’est parfois inspiré du jazz, mais nous en reparlerons), pour ensuite s’en inspiré dans la composition de leur œuvre. Les plus marquants sont Duke Ellington, Thelonious Monk, Oscar Peterson, Keith Jarrett, Miles Davis, Nina Simone, ou encore Leonard Bernstein et Chick Corea. Wynton Marsalis donc s’inscrit dans cette lignée.
Dès l’âge de 14 ans, il joue le concerto pour trompette de Haydn, accomagné par le New Orleans symphony orchestra. A 18 ans, bien lancé, le talenteux jeune homme rejoint Art Blakey et ses Jazz Messengers, au seuil des années 80. Il joue ensuite avec Sarah Vaughan, Dizzie Gillespie, Sonny Rollins. De jolis parrains et partenaires de musique. Mais Wynton Marsalis ne contente pas seulement d’être un musicien talentueux capable de s’adapter avec bonheur à différents styles musicaux comme, hormis le classique donc, la country-blues (voir album « Two men with the blues » avec Willie Nelson), le blues encore, avec Eric Clapton, sur le superbe « Wynton Marsalis and Eric Clapton plays the Blues ».
Passionné par les compositeurs de musique classique que sont Johann Sébastian Bach, Wolfgang Amadeus Mozart, Joseph Haydn et quelques autres, il n’hésite alors pas à se lancer dans l’enregistrement d’œuvres classiques. L’alternance entre ses activités liées au jazz et à la musique classique est dès lors effective. En 1983, à 20 ans, il rentre en studio pour enregistrer les concertos pour trompette de Joseph Haydn, Johann Nepomuk Hummel, et Leopold Mozart. En 1997, signe ultime de la reconnaissance de son talent multiforme, Wynton Marsalis reçoit le prix Pullitzer de la musique pour son œuvre « Blood on the fields », un oratorio de jazz.
Si le musicien est très talentueux, Il accorde aussi une très grande importance à l’enseignement, la transmission, l’éducation de l’être humain par la musique. C’est pour cela qu’il mène de front plusieurs carrières, toutes liées à la musique, à l’Humain. : S’il a dirigé le Jazz Lincoln Center de New-York, il est également directeur en charge du Département Jazz de la Juillard School de New-York. Partout où il rend, Marsalis se fait passeur de savoir, transmetteur de mémoire, d’une histoire commune, celle de la musique, comme lien unique et universel entre les hommes. Un pèlerin qui ne baisse jamais les bras.
En tant que compositeur et / ou un interprète du répertoire classique, il a établi un spectre très large, jugez plutôt : le fameux « Three Favorite concertos », avec le violoncelliste Yo-Yo Ma notamment, en 1984 ; le registre baroque et des compositeurs tels Henry Purcell, Georges Telemann, Johann Pachelbel, abordés lors d’enregistrements en 1984 et 1988 ou plus près de nous, en 2016 « The Abyssinian Mass » de Wolfgang Amadeus Mozart, enregistré avec la chorale Le Château. La musique de chambre et la musique symphonique ne sont pas en reste avec respectivement « Ghost Storry, ballet » qui date de 1998, ou « the Fiddler and dancin’ witch », pour orchestre à cordes, en 1999. Côté symphonique, il s’offre l’écriture d’une trilogie : « All rise, symphonie n01 », pour orchestre de jazz et chœur et orchestre symphonique ; « Blue Symphony, n°2 » et « Swing symphony, n°3 ».
Vous le constatez, Wynton Marsalis tisse avec patience et persévérance, une œuvre musicale immense, riche, variée, au sein de laquelle il se promène et donne à ses interlocuteurs comme à ses auditeurs un plaisir sans cesse renouvelé de le côtoyer comme de le voir évoluer, diriger ou juste se fondre dans un collectif pour mieux servir une musique.
Wynton Marsalis est pour moi l’un des grands noms du jazz des 40 dernières années et son œuvre n’est pas terminée… loin de là!
Guillaume.