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Miles Davis, 30 ans déjà!

Ce 28 septembre 1991, il y a 30 ans, fut une journée sombre pour le jazz, pour la musique. En effet s’éteignait ce jour-là l’un des géants de l’histoire du jazz moderne, une figure emblématique qui a révolutionné, par son jeu, sa personnalité, son charisme, le monde du jazz en cours jusqu’à son arrivée dans les années 50. Sa disparition a fait l’effet d’un choc dans le monde du jazz, mais également au-delà tant, au fil des décennies, Miles Davis était devenu une icône, une marque, un modèle pour tout un tas de musiciens, y compris ceux ne venant pas du creuset du jazz.

On peut citer parmi ceux qui l’ont accompagné, les Bill Evans (le pianiste ci-dessus, puis plus tard le saxophoniste homonyme), John Coltrane, Sonny Rollins, pour la période des années 50. Ensuite, des années 60 à 80, il a engagé, formé des musiciens comme Herbie Hancock, Wayne Shorter, Chick Corea, qui l’a rejoint en 1968, à la place de Herbie Hancock, pour assurer quelques shows, et qui confie une anecdote étonnante sur ses conditions d’engagement et ce que lui demanda Miles Davis, je vous laisse découvrir cela dans la play-list en fin d’article. Autrement, Joe Zawinul, Kenny Garrett, John Mac Laughlin, Mike Stern, Tony Williams ont également évolué au côtés du trompettiste. Avec eux il va défricher les terres du jazz fusion, du jazz-rock, que ses musiciens perdureront à développer par la suite en créant des groupes devenus références tels que Weather Report, Mahavishnu Orchestra, Return To Forever.
Car Miles Davis est dès le début de sa carrière un perfectionniste, un chercheur, qui sait repérer les talents de demain, et leur sert de mentor. Il a joué ce rôle de figure tutélaire jusqu’à la fin de sa carrière.

Il a évidemment contribué à la création et l’émergence du courant bebop (1944-1948), aux côtés de Charlie Parker, Dizzy Gillespie, puis s’est frotté à tous les styles de jazz ou presque, puisqu’il a créé le cool jazz, avec le fameux album « The birth of Cool », aidé par un producteur nommé Gil Evans, paru en 1950. Vinrent ensuite le hard-bop, entre 1949 et 1955, qui correspond à son retour aux Etats-Unis, après un long sejour en Europe et surtout à Paris où il fréquente certaines figures artistiques de Saint-Germain ,en particulier Juliette Gréco,avec qui il vivra une belle histoire. Ne pouvant la ramener aux États-Unis pour l’y épouser ( le contexte social, politique et racial ne s’y prêtait pas), et Gréco bloquée à Paris par sa carrière, l’histoire se termine un peu brutalement. Miles Davis, déprimé, commence alors à tomber dans la drogue dure, cocaïne, héroïne. Il enregistre avec Sonny Rollins, Billie Holiday, Sarah Vaughan, termine de se battre contre son addiction dans la ferme de son père, puis, remis, réunit Kenny Clarke et Horace Silver pour écrire une nouvelle forme de jazz: le hard bop.
À la fin des années 50, alors devenu un musicien qui compte, Davis enregistre des albums comme, « Miles Ahead » (1957), »Porgy and Bess » (1958), »Sketches of Spain » (1959-1960), ou des morceaux tels que le « Round Midnight » de Thelonious Monk. En 1959, Miles Davis écrit un album qui constitue bientôt une pierre angulaire de son oeuvre musicale : » Kind of Blue », essentiellement basé sur des improvisations sur des pièces qu’il a composé. Ensuite, en 1963, à ses côtés il intègre Ron Carter, Herbie Hancock, Wayne Shorter, Tony Williams. Du sang neuf, pour un pas en avant vers le jazz électrique. En 1966, le groupe enregistrera « Miles smiles », puis ce sera « Sorcerer » et « Nefertiti » en 1967.
Alors que se faufile une révolution stylistique et sonore à l’autre des 70’s, Davis en profite pour peaufiner une musique jazz qui soit au rendez-vous de ce carrefour des genres jazz et rock. Le meilleur exemple en est l’album « Bitches Brew »(1970), sur lequel apparaissent le guitariste écossais John Mac Laughlin et le claviériste autrichien Joe Zawinul.

Si aux Etats-Unis, malgré le racisme ambiant, il est assez vite devenu un musicien reconnu qui avait pignon sur rue et tournait sans trop de difficultés, ce qui pour un musicien noir à l’époque, était une vraie performance. En France, il s’est fait connaître en réalisant en une prise (!), pendant sa projection, la musique du film « Ascenseur pour l’échafaud » (1958) de Louis Malle, avec la jeune Jeanne Moreau. Un tour de force qui marqua les esprits et forgea encore davantage sa légende.
Miles Davis était un perfectionniste. Jusqu’à l’insupportable pour certains des musiciens et techniciens qui l’ont côtoyés tout au long de sa carrière. Mais il savait reconnaître le talent de ses partenaires, et leur laisser champ libre quand cela était utile pour la musique et pour le le show sur scène. Nombre d’entre eux, de John Coltrane à Chick Corea, en passant par Mike Stern, Herbie Hancock, John Scofield, et j’en oublie, ont tiré bénéfice d’avoir été partenaires du maître.

Musicalement, si Miles Davis était un homme ouvert d’esprit (son album posthume « Doo bop », photo ci-dessus, sorti en 1992, aux influences rap en est la parfaite illustration), il était également à l’affût de tout, du moindre incident musical sur lequel il pourrait éventuellement rebondir. Chick Corea raconte à ce sujet qu’un soir, lors d’un concert, il commet une erreur d’accord au piano, jouant ainsi une mauvaise note. « Immédiatement, dit-il, Miles s’est tourné vers moi, s’est servi de cette fausse note pour démarrer un solo ». Le génie dans sa plus belle expression. A l’affût de tout. Pour servir son art, la musique. A propos de se tourner, Miles Davis avait pris une habitude, très tôt, celle de tourner le dos au public parfois pendant ses concerts, sur certains morceaux, ce qui fut pris par le public et les critiques de l’époque pour du mépris. Il gardera cette habitude tout au long de sa carrière, expliquant que c’était une façon pour lui de mieux être en harmonie avec son instrument, avec ses musiciens.
Malgré un succès qui ne se dément pas, des collaborations et projets à foison, Miles Davis, comme tout artiste, génial de surcroît, connaît des périodes de doutes très fortes. C’est ainsi qu’entre 1974 et 1979, le trompettiste va se retirer du monde qui l’entoure, de la scène, des studios, pour ne se consacrer qu’à lui-même. Une parenthèse sans création qui va s’avère bénéfique et salvatrice pour Davis. Plus tard, lors d’une interview donnée lors d’un passage à passage à Paris en 1989, il évoquera cette période et dira qu’il a mis 3 ans à retrouver ce son si particulier qui est le sien. « Certains jours je me suis trouvé vraiment nul », confie-t-il.
Dans les années 80, il fera appel au bassiste et producteur Marcus Miller (David Sanborn, Luther Vandross..), qui collaborera avec lui sur tous les albums au cours de la décennie (« The man with the horn » ; « »We want Miles » ; « Star people »; « Tutu », qui fera un carton à sa sortie ; « Music from siesta » ; « Amandla », qui marque un retour aux racines africaines). Dans la décennie 80-90, Miles Davis, outre Marcus Miller, va engager nombre de jeunes musiciens de la scène jazz-rock, à savoir John Scofield, Mike Stern, le bassiste Darryl Jones (aujourd’hui au sein des Rolling Stones), les saxophonistes Kenny Garrett et Bill Evans, mais aussi le percussionniste Mino Cinelu. Avec eux, il va donc construire un nouveau répertoire, plus rock, un nouveau son, aidé par Marcus Miller. Il va ainsi permettre à un public plus large de venir au jazz, dont il jugeait l’audience trop limitée. Par ailleurs, il va s’attaquer au répertoire d’icônes de la pop-music comme Michael Jackson ou Cindy Lauper. Ainsi il sort des sentiers du jazz, devient un musicien qui transcende les genres musicaux. Finie l’image du pur jazzman, Miles Davis est devenu lui aussi un pop-star. Pour enregistrer « Tutu » en 1986, en conflit avec sa maison de disques, qui ne lui accorde pas les droits sur ses propres morceaux, il s’en remet donc à Marcus Miller. La collaboration sera un franc succès, l’album aussi. Du coup, ils remettent ça en 1989 pour « Amandla ». Là aussi, le succès est au rendez-vous. Preuve qu’il est devenu un musicien apprécié des stars du rock, le groupe américain Toto l’appelle pour jouer sur « Can’t stop me now », qui figure sur l’album « Farenheit ». Dans la foulée il enregistre des sessions avec le regretté génial Prince. Il existe parait-il un disque témoin de cela, mais il est enfermé dans le coffre fort de Paisley Park, la résidence-studios où résidait et enregistrait le kid de Minneapolis.
Jusqu’à son décès, ce fameux et triste 28 septembre 1991, il va multiplier les disques, concerts, en Europe notamment, dans les grands festivals comme celui de Vienne. Véritable star mondiale, ayant dépassé depuis longtemps, par sa volonté, les simples frontières du jazz, Miles Davis est demandé partout. Chaque grand festival veut s’enorgueillir de sa présence, ce qui garantit des recettes commerciales et des retombées médiatique importantes. Le musicien-star est devenu un produit qu’on s’arrache.


En 2014, pour rendre hommage à cet immense artiste, l’acteur américain Don Cheadle (photo ci-dessus) lance une souscription pour financer un film sur Miles Davis, qui s’appellera « Miles Ahead« (affiche ci-dessus), en référence à l’album du même nom sorti en 1957, avec également Ewan Mac Gregor. Don Cheadle apprend la trompette pour l’occasion, mais ce sont bien les morceaux de Davis qui servent la bande-sonore du film. Le film sortira en octobre 2015 au festival de New-York.
Parti alors qu’il avait sans aucun doute encore beaucoup de musique à créer, partager, de rencontres nouvelles à initier, de talents à révéler, il laisse un héritage musical immense qui court sur près de 50 ans, varié, complexe, à la hauteur du musicien prolifique qu’il était, . Son empreinte est indélébile dans l’histoire du jazz, dans l’histoire de la musique du 20ème siècle. Il y a un avant Miles Davis. Il y a désormais,1991, un après Miles Davis. Nombre de jeunes musiciens, trompettistes ou simples compositeurs, perpétuent son oeuvre, son travail.
Guillaume.